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Lutte biologique à la Grande Comore

Rédigé par Shannti Dinnoo Modifié le

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  • Plage et cocoteraie, Grande Comore © Cirad - Shannti DINNOO
  • Nicolas Odaglia prélevant des échantillons sur cocotier, Grande Comore © Cirad - Shannti DINNOO

En juillet 2015, Nicolas Odaglia, Ingénieur de Recherche au Cirad, était chargé d’évaluer l’impact d’une action de lutte biologique menée huit ans auparavant à la Grande Comore pour réguler les populations d’aleurodes sur les cocotiers de l’île. Les résultats de cette enquête, réalisée en collaboration avec les équipes de l’INRAPE[1], concordent avec l’opinion des spécialistes comoriens : le bilan est positif. Les cocoteraies comoriennes, bien que toujours âgées, sont plus saines et productives qu’il y a dix ans et deux parasitoïdes utiles pour la lutte contre les aleurodes sont présents tout autour de l’île. 

Aleurotrachelus atratus[2] Derrière cette jolie petite mouche blanche d’apparence inoffensive se cache un insecte piqueur-suceur ravageur du cocotier. Les aleurodes colonisent les feuilles pour se nourrir de la sève de la plante infestée. Elles sécrètent également une substance sucrée favorisant le développement d’un champignon noir, la fumagine, qui freine la photosynthèse. Ces deux actions affaiblissent le cocotier, sa production de noix s’amenuise, et il peut parfois dépérir[3].

Aleurotrachelus atratus adulte © Cirad - Antoine FRANCK
Aleurotrachelus atratus adulte

Première enquête sur cocotiers

Pour évaluer l’impact de l’action de lutte biologique[4] menée en 2007 contre A. atratus, Nicolas Odaglia a dû, dans un premier temps, estimer les densités de population de l'aleurode et de ses deux principaux ennemis à la Grande Comore. Pour cela, il a réalisé des  échantillonnages sur des cocotiers de 23 sites tout autour de l’île, couvrant ainsi la quasi-totalité du littoral et quelques sites à l’intérieur des terres (figure 1).

Carte des sites d’échantillonnages (cocotiers et papayers confondus), Grande Comore (juillet 2015)
Figure 1 : Carte des sites d’échantillonnages (cocotiers et papayers confondus), Grande Comore (juillet 2015)

Il ressort de cette enquête écologique que la majorité des cocotiers comoriens sont sains. La densité larvaire moyenne d’Aleurotrachelus atratus est de 0,34 au cm2. Le taux d’infestation semble donc désormais maintenu à un niveau acceptable à la Grande Comore, notamment grâce au parasitisme. En effet, deux parasitoïdes de l’aleurode, Eretmocerus cocois[5] et Encarsia basicincta[6] ont été retrouvés sur la majorité des sites échantillonnés.

Nous sommes loin du début des années 2000 où la cocoteraie comorienne subissait d’importantes pertes de rendement dues à Aleurotrachelus atratus. L’invasion entraînait même, dans les cas les plus graves, la mort des cocotiers[7]. Le Ministère de l’Agriculture comorien estimait à l’époque que cet aleurode était la cause d’une chute de production de la cocoteraie de 87 % en Grande Comore, de 61 % à Anjouan et de 40 % à Mohéli. Cela représentait alors un fléau pour des îles couvertes de cocotiers au rôle essentiel dans la société comorienne (alimentation, médecine traditionnelle, etc.)[3].

C’était cette situation qui, en 2007, avait conduit le Cirad à mener cette première action de lutte biologique contre Aleurotrachelus atratus, en collaboration avec l’INRAPE dans le cadre du programme PRPV. Le parasitoïde introduit alors était Eretmocerus cocois, provenant de collectes à La Réunion. Cette micro-guêpe  a la particularité de pondre à l’intérieur des larves de mouches blanches. La larve du parasitoïde s'y développe aux dépens de son hôte et en émerge à l’âge adulte. L’aleurode, lui, n’y survit pas.

Nicolas Borowiec, alors entomologiste pour le Cirad, avait placé un cocotier infesté d’aleurodes dans une cage de confinement pour  y lâcher 300 femelles d’Eretmocerus cocois afin que le parasitoïde s’y acclimate[8]. Une fois le parasitoïde acclimaté à son nouvel environnement et son efficacité confirmée par le suivi de la population d’aleurodes dans la cage, celle-ci avait été enlevée pour qu’il puisse se disperser naturellement dans le reste de l’île.

Ces actions de 2007 avaient aussi été l’occasion de réaliser une enquête écologique afin de connaître la répartition de l’aleurode aux Comores. C’est au cours de cette enquête qu’un autre ennemi des mouches blanches, probablement introduit accidentellement, avait été découvert[3]. Cette espèce a désormais été identifiée : il s’agit donc d’ Encarsia basicincta. C’est le parasitoïde majoritaire d’aleurodes du cocotier à la Grande Comore, avec aujourd’hui environ 77% du parasitisme, contre 23% pour celui introduit par le Cirad, Eretmocerus cocois.

Enquête écologique sur papayers

Parallèlement à cette évaluation de l'état de la cocoteraie comorienne, la mission de Nicolas Odaglia avait pour second objectif la réalisation d’une enquête écologique sur la cochenille du papayer, Paracoccus marginatus[9]. Cet insecte, extrêmement polyphage, s’alimente de plus de 60 espèces végétales différentes dont certaines cultures d’importance telles que le manioc. Il se nourrit de la sève des plantes en insérant son stylet dans l’épiderme des feuilles, tiges et fruits. Ce faisant, il injecte une salive toxique dans son hôte qui peut finalement mener à la mort de la plante[10].
Il s’agissait cette fois d’estimer le niveau d’infestation de cette cochenille sur les papayers de la Grande Comore et d’établir si elle a ou non des ennemis naturellement présents. Cette prospection avait essentiellement pour but d’estimer la nécessité d’une action de lutte biologique.

Paracoccus marginatus femelle avec ovisac et larves © Cirad – Antoine FRANCK
Paracoccus marginatus femelle avec ovisac et larves

Les échantillonnages ont eu lieu sur 19 des 25 sites de prélèvement (figure 1). « Nous n’aurons pas le taux de parasitisme, parce que c’est impossible à déterminer sur des colonies comme cela » nous apprend Nicolas Odaglia.  « Il y a vraiment des milliers de larves et c’est impossible de les compter alors que sur cocotier, on peut facilement compter les larves parasitées et les larves émergées en tant qu’aleurodes, et  déterminer ainsi  un taux de parasitisme.» Il ajoute : « Les papayers semblent plus infestés qu’à La Réunion, avec le plus souvent des colonies de cochenilles importantes sur l’étage inférieur des feuilles. Mais, selon les agents de l’INRAPE, la tendance est à l’amélioration. Les plantes sont globalement moins attaquées et les fruits, dans la majorité des cas, sont épargnés.»

Car, et c’est une bonne nouvelle, des « momies », larves de cochenilles parasitées, sont présentes dans presque tous les échantillons. Elles ont été isolées dans des tubes afin de récupérer les parasitoïdes susceptibles d’en émerger. « Au moins trois types de parasitoïdes ont ainsi été discriminés morphologiquement, dont deux particulièrement semblables à deux espèces présentes à La Réunion : Marietta leopardina et Acerophagus nubilipennis[11]» estime l’ingénieur de recherche.

 
Des analyses biomoléculaires seront nécessaires afin de confirmer l’identification de ces individus. Celles-ci se feront courant 2016 au Pôle de Protection des Plantes (3P) de Saint-Pierre de La Réunion suivant un processus de barcoding moléculaire. C’est un procédé qui permettra, à partir d’un gène, d’établir la caractérisation génétique des insectes prélevés sur le terrain et de révéler ainsi leur  « identité exacte ».

Si ces analyses révèlent que certains des parasitoïdes présents sur cochenille sont bien des Acerophagus nubilipennis, leur introduction à la Grande Comore sera inutile puisqu’ils y seraient naturellement présents. « Une multiplication de ces parasitoïdes en élevage au sein des laboratoires de l’INRAPE pourra être envisagée afin de réaliser des lâchers dans les zones les plus infestées » conclut Nicolas Odaglia, mais une introduction d’auxiliaires allogènes ne sera sans doute pas nécessaire.

L’enquête écologique à la Grande Comore et le processus de barcoding au 3P de Saint-Pierre ont fait l’objet d’un reportage réalisé dans le cadre du projet ePRPV :



[1]  INRAPE - Institut National de Recherche pour l'Agriculture, la Pêche et l'Environnement, dépendant du Ministère de la production, Moroni, Comores.

[2] Aleurotrachelus atratus Hempel. , hémiptère piqueur-suceur de la famille des Aleyrodidae d’origine néotropicale que l’on retrouve tsur plus de 50 espèces de palmiers. Il a été décrit pour la première fois au Brésil en 1978 sur cocotier (Cocos nucifera), son hôte principal.

[3] Aleurode du cocotier aux Comores, la situation s’améliore, www.bio-agri.org, 2012.

[4] La lutte biologique classique contre les insectes ravageurs consiste à introduire, dans le milieu colonisé, des espèces d’auxiliaires pouvant s’acclimater puis réguler les populations nuisibles sans autre intervention. (Borowiec N. et al. 2011)

[5] Eretmocerus cocois Delvare sp. n., hyménoptère de la famille des Chalcidoidea.

[6] Encarsia basicincta Gahan 1927, hyménoptère de la famille des Aphelinidae.

[7] Delvare G. et al., Description of Eretmocerus cocois sp. n. (Hymenoptera : Chalcidoidea), a parasitoid of Aleurotrachelus atratus (Hemiptera : Aleyrodidae) on the coconut palm, Zootaxa, 2008, n°1723, p. 47.

[8] Aleurode du cocotier : introduction de l’auxiliaire Eretmocerus near sp. aux Comores, www.bio-agri.org, 2012.

[9] Paracoccus marginatus Williams & Granara de Willink 1992, hémiptère piqueur-suceur de la famille des Pseudococidae, originaire d’Amérique Centrale.

[10] Chellappan M. et al., College of Horticulture, Kerala Agricultural University, Thrissur; PPNMU, Kerala Agricultural University, Thrissur Host range and distribution pattern of papaya mealy bug, Paracoccus marginatus Williams and Granara de Willink (Hemiptera : Pseudococcidae) on selected Euphorbiaceae hosts, Kerala Journal of Tropical Agriculture, n°51, 2013 (1-2) p. 51.

[11]  Acerophagus nubilipennis Dozier 1926, parasitoïde de la famille des Encyrtidae.