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(re) Définir la Biodiversité, un enjeu pour l’avenir

Rédigé par Alexandre Reteau Modifié le

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  • Calotes versicolor sur pied de manioc © Reteau Alexandre

« Biodiversité ». Ce terme est tant et tant employé par la classe politique et la « pop ecology »,[1] qu’aujourd’hui il tend à être dépossédé de son sens originel. Pour autant ses usagers ne prennent généralement pas le temps d’en réexpliciter le sens. Qu’entend-on derrière ce mot qui nous parait si familier ? Si l’expression « érosion de la biodiversité » fait apparaître en nous l’image générique d’un ours polaire dont la banquise s’amenuise au fil des années, la biodiversité englobe une réalité bien plus délicate à appréhender. La biodiversité est un phénomène complexe, non réductible, qu’il importe d’aborder dans sa globalité... si toutefois nous voulons éviter les écueils de l’anthropocentrisme.[2]

Du chêne Quercus robur, à la bactérie Yersinia pestis

La biodiversité représente l’ensemble des organismes biologiques de notre planète, l’ensemble des êtres vivants. A ce titre, elle comprend les pandas comme les ours blancs, le tamanoir comme le requin tigre. Elle englobe aussi le règne bactérien et le règne végétal, le règne des archées, des mycètes et celui des protistes. Du chêne majestueux à la bactérie responsable de la peste, en passant par le maïs cultivé et l’ornithorynque, tous les êtres vivants sont partie intégrante de ce que nous nommons « Biodiversité ». Et ceci que ces organismes soient utiles ou non à l’Humanité. Par conséquent les cultures vivrières que nous utilisons depuis des milliers d’années pour notre agriculture font, elles aussi, partie de la biodiversité… blettes y compris. Cette diversité végétale exploitée et sélectionnée par l’Homme est généralement rassemblée sous le terme d’ « agrobiodiversité ».

Bien qu’il soit difficile d’estimer le nombre total d’espèces qui composent la biodiversité, il est communément admis que celle-ci subit actuellement une forte érosion dont l’évolution est exponentielle. Les récents travaux publiés dans  Sciences advances[3] par des chercheurs des universités de Princeton, de Stanford et de Berkeley n’en font que confirmer l’état dramatique. Cette perte considérable de biodiversité est en grande partie imputable à l’impact qu’ont les activités humaines sur l’environnement.


Mangifera indica © Reteau Alexandre
Le manguier, Mangifera indica, bien qu'espèce cultivée, fait lui aussi partie de la biodiversité.

Vers une « sixième extinction »

Que des espèces disparaissent et apparaissent est une chose normale. C’est une part intégrante des mécanismes de l’évolution. Le poids des communautés humaines sur la biodiversité n’est pas chose nouvelle : l’arrivée des aborigènes en Australie coïncide avec l’extinction massive de la mégafaune indigène,[4] tout comme la disparition d’Aepyornis à Madagascar qui découlerait des activités des populations locales.[5]

Les extinctions font partie des aléas de la nature et elles parsèment l’histoire du vivant depuis plus de 3,5 milliards d’années. Mais c’est le rythme effréné qu’elles prennent aujourd’hui qui les rendent alarmantes et qui pousse les spécialistes à parler d’une « sixième extinction ». Faute de projets de conservation adéquats, il parait inévitable que la biodiversité paye un lourd tribut au mode de fonctionnement de nos sociétés modernes.

Actuellement un grand nombre de projets de protection ne concernent  que des espèces sauvages emblématiques. Celles-ci recueillent plus facilement l’affection des foules, devenant par-là sujet d’intérêt pour les politiques. Les décideurs sont généralement plus enclins à financer des plans de sauvegarde pour des espèces à fort capital sympathie que pour des espèces qui, subjectivement, leur paraîtraient moins populaires.


Heteropoda venatoria © Reteau Alexandre
La babouk réunionnaise, ou Heteropoda venatoria, fait elle aussi partie intégrante de la biodiversité malgré le peu de sympathie qu’elle suscite auprès des populations.

Éduquer et sensibiliser les populations

De plus, nombre de ces projets, bien qu’encore timorés, pâtissent d’un non-respect de leurs préconisations et, surtout, se heurtent à des intérêts économiques importants mais aussi au poids des coutumes traditionnelles. Le braconnage des éléphants d’Afrique en est un exemple : pour obtenir leurs défenses, les contrebandiers éliminent des animaux dont la situation est déjà critique. Sur l’île de La Réunion, l’exploitation traditionnelle du Faham, une orchidée endémique dont la cueillette est strictement réglementée, menace directement la survie de l’espèce. Vouloir préserver la diversité biologique nécessite la mise en place d’actions de sensibilisation.

L’importance de l’éducation ne peut être négligée car sans le soutien des populations, ces projets ne peuvent espérer s’inscrire sur le long terme. Or, pour obtenir le soutien des populations encore faut-il que celles-ci puissent subvenir à leurs besoins… la question de la sauvegarde de la biodiversité rentrant alors en conflit avec les questions de sécurité alimentaire et de stabilité politique, elle ne fait généralement plus figure de priorité.

Précisons que le non-respect des plans de sauvegarde n’est pas l’apanage des pays pauvres ou instables. Le fonctionnement du tourisme baleinier, au cœur de la réserve marine de l’île de la Réunion, en est une illustration. De juillet à octobre les baleines à bosse migrent vers les eaux chaudes de l’ancienne île Bourbon où elles trouvent un lieu propice à la reproduction et à la mise bas. Elles sont alors particulièrement sensibles aux perturbations extérieures. Des recommandations ont été dictées pour éviter le dérangement de ces grands cétacés durant cette période. Dire que ces recommandations sont rarement respectées est un doux euphémisme.


La Réunion, « hot spot » de biodiversité végétale © Reteau Alexandre
La biodiversité végétale ne doit pas non plus être mise de coté, à fortiori sur l'île de La Réunion réputée pour être un « hot spot » de biodiversité.

Si nous ne réussissons pas à mobiliser les populations autour de la sauvegarde d’espèces aussi emblématiques que les baleines ou les éléphants, il peut paraître compréhensible –mais regrettable- que la biodiversité végétale, et à fortiori l’agrobiodiversité, soient reléguées au second plan. Toutefois il est nécessaire de garder en tête que la biodiversité ne se réduit pas aux dauphins et aux pandas mais qu’elle comprend aussi requins, orties et morpions.[6]

Afin de pouvoir prendre les meilleures décisions possibles pour notre futur, mener une réflexion plus large sur ce qu’est la biodiversité et sur les raisons qui nous poussent à en organiser la sauvegarde semble indispensable. Sans ça nous prenons le risque de commettre des erreurs idéologiques, tant dans les actions mises en œuvre que dans leur justification. Ne pas le faire c’est prendre le risque de l’arbitraire et de la subjectivité. C’est aussi oublier que notre biosphère forme un tout et qu’elle n’est pas réductible à un ensemble d’espèces emblématiques. Du plancton microscopique aux baleines à bosse, la biodiversité est un ensemble continu d’organismes interagissant constamment entre eux et qui, par conséquent, dépendent les uns des autres… l’Homme y compris.





Pour aller plus loin :


[1] Terme anglo-saxon pour définir l’écologie politique et militante, et la démarquer de l’écologie scientifique qui est une discipline étudiant les liens entre les organismes au sein d’un écosystème.
[2]  Anthropocentrisme : fait de placer l’Homme au centre de tout et de juger les choses en fonction de nos intérêts ou de nos sentiments, en fonction de notre vision d’Homo sapiens.
[3]  G. Ceballos, P. Ehrlich, A. Barnosky et al. Accelerated modern human–induced species losses: Entering the sixth mass extinction. Science Adavances, 2015, Vol 1, No.5.
[4]  Chose paradoxale, ce sont maintenant les aborigènes qui sont considérés comme les peuples indigènes, proches de l’extinction ; l’envahissant devenant, au fil des siècles, indigène. 

[5]  Le genre Aepyornis est une famille d’oiseaux endémiques de Madagascar dont tous les membres ont désormais disparus. Parmi eux, le plus grand oiseau connu à ce jour, Aepyornis maximus, « The elephant bird », pouvait atteindre 3m de haut et plus de 400 kg. La destruction de leurs habitats et la consommation en grande quantité de leurs œufs par les populations locales auraient conduit à l’extinction de ces géants de Madagascar.
[6]  Morpions qui pourraient finir sur la liste des espèces menacées : les effets de la mode ne favorisant pas l’entretient d’une forte pilosité chez l’espèce humaine, nous détruisons donc à coup de cire et de rasoirs les habitats nécessaires au développement de ces insectes. Leurs populations connaissent donc un net recul. Allons-nous devoir créer des zones de pilosité préservées destinées à la sauvegarde de l’espèce ? Bien que paraissant anecdotique cela soulève la question de l’arbitraire lorsque nous abordons la thématique de la biodiversité et de sa préservation.

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