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Jean Hivert (CBNM) : "Les îles Eparses : des îles sanctuaires de nature"

Rédigé par David JOSSEROND Modifié le

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  • Jean Hivert, chargé de mission au Conservatoire Botanique National de Mascarin, spécialiste de la flore des îles Eparses. © Antoine Franck
  • Jean Hivert, spécialiste de la flore des îles Eparses, en mission sur Juan de Nova (avril 2011) - Copyright : Francois FROMARD

Le Conservatoire Botanique National de Mascarin (CBNM) vient récemment de mettre en ligne un nouveau site internet dédié à la flore et aux végétations des îles éparses. Objectif : sensibiliser le plus grand nombre à la biodiversité terrestre de ces îles sanctuaires de nature. Questions à Jean Hivert, chargé de mission au Conservatoire Botanique National de Mascarin, spécialiste de la flore des îles Eparses.

Dans quel contexte scientifique le Conservatoire Botanique National de Mascarin s’intéresse-t-il aux îles Eparses ?

- Nous étudions en premier lieu leur flore et les différents systèmes de végétation. Ces iles ont la chance de bénéficier depuis quelques années d’une phase de protection forte. Les perturbations humaines, qui ont pu y avoir lieu à l’époque, n’ont plus cours depuis les années 1970. Les processus naturels prédominant désormais sur les processus anthropiques, on assiste donc à une phase importante de re-naturalisation de ces îles, dont la flore se trouve aujourd’hui dans un état de conservation exceptionnel.

Vous attachez beaucoup d’importance à l’Histoire de ces îles, comme un élément révélateur de leur en écologie et botanique ?

- Comprendre les perturbations écologiques d’aujourd’hui revient souvent à s’intéresser à l’Histoire et plus particulièrement à la colonisation humaine. Quelles variétés végétales et animales ont-elles été introduites par l’homme ? Quelles sont leurs origines ? Quels sont leurs pools génétiques ? Y a-t-il eu usage volontaire du feu ? Y pratiquait-on les défrichements... ? Autant de questions relevant de l’Histoire et permettant de mieux comprendre les menaces actuelles qui pèsent sur la biodiversité. Or, ce lien historique s’avère plus facile à établir sur les îles Eparses que sur les autres îles de l’océan Indien, où les perturbations externes sont plus nombreuses et complexes.

Comment expliquez-vous que ces îles, et en particulier l'une d'entre elles "Europa", aient été si peu impactées par l’homme ?

- Située dans le canal du Mozambique, Europa n'a été cartographié que très tardivement, et était donc crainte par les navigateurs. Le nombre d’épaves à proximité est là pour le confirmer. Il faut ensuite rajouter à cela des conditions naturelles et climatiques extrêmement difficiles qui y rendent la vie hostile à l’homme, à savoir des températures élevées (climat de type semi-sec voire xérophile), pas de ressources en eau douce et une forte présence de moustiques. Ces trois paramètres ont selon moi largement découragé les tentatives successives de colonisation humaine, qui sont toutefois mal renseignées aujourd’hui et qui auraient eu lieu a priori uniquement sur des périodes courtes.

En quoi les îles Eparses sont-elles importantes dans l’étude des changements climatiques et environnementaux ?

- Les îles Eparses, parce que uniquement régies par des facteurs naturels, constituent en effet des territoires de prédilection pour l’étude des changements globaux climatiques et environnementaux. Quand un environnement ou une végétation évolue, on sait très bien que de nombreux facteurs vont influer sur cette dynamique, et notamment les facteurs humains, dont on va pouvoir tout particulièrement s’affranchir sur les îles Eparses. Ces îles sont également très plates, présentant des altitudes de quelques mètres seulement. Aussi, toute élévation du niveau de la mer par exemple, si infime soit-elle, sera beaucoup plus visible sur les îles Eparses, en ayant des conséquences sur l’ensemble des habitats de l’île. Ce qui peut donc apparaître a priori comme un micro-changement à l’échelle mondiale entrainera sur les îles Eparses un changement global beaucoup plus visible sur l’ensemble des systèmes de végétation naturelle, et indirectement sur la faune.

Ile sanctuaire de la nature, vous qualifiez même "Europa", d’île laboratoire. Que cela signifie-t-il ?

- Les Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF), gestionnaires des îles Eparses, animent un réseau scientifique auquel participent plusieurs dizaines d’équipes de scientifiques couvrant l’ensemble des sciences de la vie et de la terre. Or, chacun des scientifiques, à son échelle d’expertise, observe qu’Europa est simple à analyser car purement conditionnée par des facteurs naturels : type de sol, salinité, hydromorphie... Les limites des différents systèmes de végétation que l’on y trouve n’en sont que plus visibles. A l’œil nu, on parvient par exemple à différencier la limite d’un système de végétation à un autre, des formations littorales à des zones à euphorbes jusqu’à la mangrove en passant par la steppe salée et la sansouire. On parvient même à comprendre comment se met en place chaque système et comment il est lui-même organisé (cf. travaux de Vincent Boullet, botaniste et phytosociologue, directeur du Conservatoire Botanique National du Massif Central). On atteint ainsi sur Europa une échelle très fine de compréhension des systèmes de végétation : comment ils se créent, de quoi ils se composent, quelle est leur dynamique, comment ils s’intercalent les uns aux autres… Ces îles, et particulièrement Europa, peuvent à ce titre devenir selon moi des "systèmes référence".

Des "systèmes référence" pour l’ensemble des îles de l’océan Indien ?

- Les îles Eparses peuvent tout au moins dans un premier temps devenir des référentiels pour certaines îles de l’océan Indien confrontées à des problématiques locales. On parvient par exemple à faire certains parallèles entre la végétation littorale de la Réunion et celle d’Europa, malgré des climats et types de sols différents. Mais quelle était la végétation littorale à la Réunion avant l’arrivée de l’homme sur l’île ? Les seuls éléments de réponse sont des planches d’Antoine Roussin, peintre-dessinateur du XIXème siècle, dessinées avec un certain détail certes, mais insuffisantes pour déterminer avec exactitude la végétation littorale originelle de la Réunion. Or, Suriana maritima, une espèce végétale présente en quantité sur les zones de sable blanc des îles Eparses, aurait également été signalé par Rivals dans les années 1950 à la Réunion. Or, aujourd’hui, elle n’y existe plus. L’étude de l’écologie de cette plante sur les îles Eparses pourrait-elle donc aujourd’hui aider à confirmer ces observations et, in fine, permettre de retrouver quelle pouvait être la végétation littorale originelle de la Réunion ? Quoi qu’il ensoit, je suis persuadé que les îles Eparses peuvent fournir des données précieuses, dans l’étude de la flore et la végétation, à des territoires fortement perturbés écologiquement comme peut l’être la Réunion aujourd’hui.

Plus d'informations :
- Conservatoire botanique national de Mascarin
- Flore et végétations des îles Eparses

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