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Flétrissement bactérien dans l’océan Indien, une épidémiosurveillance active

Rédigé par Jaëla Devakarne Modifié le

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  • Agriculteur malgache avec des plants flétris © ANSES - Gilles Cellier

Ralstonia solanacearum est une bactérie responsable du flétrissement d’un grand nombre de plantes cultivées comme sauvages dans le monde. Certaines lignées de cette bactérie sont reconnues organismes de quarantaine en Europe et agents potentiels de bioterrorisme aux USA. R. solanacearum  peut causer la perte de la totalité des récoltes et provoque généralement la mort de la plante.

Le seul moyen de lutte connu contre cet agent phytopathogène, endémique ou introduit, est l’utilisation de variétés résistantes. Afin de contrôler cette bactérie pourvue d’une capacité d’adaptation exceptionnelle, les équipes de recherche du Cirad et de l’Université de La Réunion travaillent sans relâche avec leurs partenaires de l’océan Indien à une meilleure caractérisation de la maladie et à l’étude des propriétés des variétés résistantes disponibles.

Une exceptionnelle capacité d’adaptation

Touchant plus de 250 espèces réparties dans 50 familles botaniques dans le monde, R. solanacearum est responsable du flétrissement bactérien, maladie considérée comme l’une des plus nuisibles pour les productions vivrières dans le monde. Particulièrement active en milieu tropical et subtropical, elle inflige des pertes sévères aux cultures d’importance économique telles que la pomme de terre (pourriture brune ou bactériose de la pomme de terre), la banane (maladie du sang ou DBD, maladie de Moko, etc.), la tomate (maladie du flétrissement bactérien), l’aubergine ou encore l’anthurium. Située dans la rhizosphère, région à l’interface entre le sol et les racines, elle pénètre par ces dernières et colonise le tissu vasculaire de la plante provoquant son affaiblissement. Le flétrissement est dû à un blocage de la circulation de la sève brute au sein de la plante. Son fort pouvoir pathogène associé à un caractère extrêmement opportuniste, fait de R. solanacearum une maladie complexe particulièrement redoutable. Elle présente une capacité d’adaptation remarquable qui se traduit par une grande variabilité génétique au sein de la même espèce. Une souche pourra infecter un large spectre d’hôtes alors qu’une autre ne s’attaquera qu’à une seule espèce végétale.

Un complexe d’espèces appartenant à 4 lignées génétiques

Afin de mieux comprendre, limiter et prédire les processus d’adaptation, les bactériologistes dirigés par Philippe Prior cherchent à obtenir des connaissances précises sur la diversité de la bactérie et sur ses interactions avec les plantes qu’elle infecte. Les travaux de recherche se basent en grande partie sur des analyses génétiques pour caractériser les souches en présence et leur origine. L’espèce se divise en quatre lignées corrélées avec leur origine géographique :

  • La lignée I est originaire d’Asie
  • La lignée II provient des Amériques. C’est le groupe de souches appelé II-B1 qui fait l’objet d’une épidémiosurveillance stricte dans les pays où elle a le statut d’organisme de quarantaine.
  • La lignée III est originaire d’Afrique
  • Et la lignée IV provient d’Indonésie.
Classification de Ralstonia solanacearum  © Florent Ailoud
Classification de Ralstonia solanacearum par phylotype et spectre d'hôte, extraite de la thèse de Florent Ailoud

Au début de l’année 2015, des travaux de recherche menés à La Réunion[1] et dans diverses régions du globe ont permis de regrouper ces lignées au sein de trois espèces, les phylotypes I et III se retrouvant au sein d’un même groupe. Cependant, cette répartition est complétée par une autre caractéristique utile pour décrire la diversité écologique au sein d’une même espèce : l’écotype. En effet, les chercheurs ont constaté que dans certaines zones géographiquement isolées, certaines souches, bien qu’identiques sur le plan génétique, pouvaient infecter de nouvelles plantes-hôtes. L’étude de cette caractéristique revêt une importance particulière en agronomie, car elle permet, par une meilleure compréhension de l’adaptation de la bactérie à l’hôte, de mettre au point des outils de diagnostic plus efficaces et une meilleure gestion des variétés résistantes.

Épidémie de bactériose à Madagascar, une thèse pour mieux comprendre

Les îles du sud-ouest de l’océan Indien ne sont pas épargnées par la maladie. Les groupes de souches I, II et III y ont été identifiés. En 2009, une sévère épidémie de bactériose a touché Madagascar, provoquant la contamination de l’ensemble des bassins de production de pommes de terre et des stations de production de semences. Une thèse financée par la Région Réunion a été lancée en 2013 dans le cadre du projet ePRPV afin de mieux comprendre l’origine et les mécanismes qui ont conduit à l’épidémie et de proposer des variétés de pommes de terre résistantes à la maladie. Réalisée par Santatra Ravelomanantsoa, sous la direction de Philippe Prior, cette thèse s’articule autour de trois objectifs. Le premier consiste à étudier la diversité de la bactérie en appliquant des méthodes moléculaires permettant de déterminer les souches en présence. À cette fin, Santatra Ravelomanantsoa a réalisé la collecte de 1224 souches représentatives des zones de production sur 74 sites.

Ralstonia solanacearum, Madagascar  © ANSES - Gilles Cellier
De gauche à droite et de haut en bas : aubergine flétrie, prélèvement sur aubergine, foyer de flétrissement sur pomme de terre, conditionnement des prélèvements à Madagascar

Les résultats ont montré la présence des groupes de souches I, II et III avec une grande majorité de souches de la lignée II et plus précisément du groupe de souches IIB-1, responsable de la pourriture brune (‘Brown rot’ ou maladie de la jambe noire). Cette découverte est significative, car seules les souches I et III avaient été caractérisées auparavant à Madagascar. Ces premiers résultats tendent à montrer que l’épidémie a été causée par l’introduction d’une nouvelle souche de R. solanacearum. Le second objectif des travaux de la doctorante est de prédire les mécanismes évolutifs de la bactérie grâce à des méthodes issues de la phylogénie et de la génétique des populations. Le dernier volet de la thèse consiste à caractériser le pouvoir pathogène, et donc la virulence et l’agressivité, des groupes de souches identifiées. Il implique également de tester des variétés résistantes de pommes de terre afin de mettre à la disposition des agriculteurs un matériel capable de contrôler la maladie en fonction de la diversité des souches. La manipulation des souches de R. solanacearum, hautement nuisibles, se fera dans le laboratoire de quarantaine de niveau 3 (NS3)[2] du Pôle de Protection des Plantes situé à Saint-Pierre de La Réunion. Les variétés sélectionnées seront testées en milieux contrôlés et naturels (à Madagascar, dans les îles du sud-ouest de l’océan Indien et en Afrique de l’Est).

D’autres travaux sont en cours afin de caractériser cette bactérie dans le but de mieux la contrôler. Parmi ceux-ci, la thèse de Noura Yahiaoui débutée en 2014, sous la codirection du Cirad et de l’ANSES à La Réunion, qui s'intéresse à à l’épidémiosurveillance de R. solanacearum à La Réunion et dans les îles du SOOI.

Souche IIB-1, une bactérie extrêmement virulente, mais contrôlable


Philippe Prior © INRA
Philippe Prior, Phytobactériologiste à l'INRA

Les travaux réalisés sur la bactériose de la pomme de terre à Madagascar mettent en évidence la responsabilité de la souche IIB-1. Malgré sa virulence, cette bactérie peut néanmoins être contrôlée grâce à un assainissement des tubercules à l’échelle de l’île. En effet, ce groupe de souches ne persiste que peu de temps dans le sol sans plante-hôte. La contamination se fait essentiellement à partir de tubercules infectés distribués aux agriculteurs. Selon Philippe Prior, partout où une épidémie a été constatée, des stations de production de semences chargées de l’approvisionnement des agriculteurs ont été contaminées, permettant ainsi à la bactérie de se répandre à grande échelle. Du fait de la virulence de la souche, qui peut par ailleurs être introduite par d’autres plantes-hôtes telles que l'anthurium ou le géranium, toute structure chargée de la production de semences de pomme de terre doit impérativement s’équiper d’outils de diagnostics fiables accompagnés de protocoles de surveillance stricts permettant de déceler la moindre trace de la maladie. Ces précautions, certes contraignantes, sont essentielles pour préserver les cultures sensibles, telles que la pomme de terre et la tomate, des ravages que peuvent causer l’introduction ou la dissémination de R. solanacearum.

En conclusion, il s’agit d’une lutte entre l'Homme - sélectionneurs, pathologistes et agriculteurs - et la Nature qui, à travers cette bactérie mondialement redoutée, fait preuve d’une remarquable capacité d’adaptation. Agent pathogène ancestral, R. solanacearum est probablement maintenu à l’état endémique dans son milieu d’origine en équilibre dans des populations de plantes réservoirs. La pratique de l’agriculture intensive impliquant la plantation de variétés, souvent clonales, sur des superficies considérables a probablement contribué à son extraordinaire explosion génétique. Le travail des sélectionneurs, qui améliorent la résistance des variétés commerciales, doit également être mené avec précaution pour éviter l’adaptation de la bactérie et le contournement des résistances. L’importance de la préservation de la biodiversité naturelle revêt ici un caractère essentiel afin de conserver un accès à différentes sources de résistances/tolérances dans des espèces sauvages, mais aussi pour éviter de trop modifier les équilibres naturels afin de limiter l'émergence de nouvelles souches plus agressives.

[1] Thèse : le pouvoir pathogène chez Ralstonia solanacearum phylotype II : génomique intégrative et paysages transcriptomiques en relation avec l’adaptation à l’hôte – Florent Ailloud. http://umr-pvbmt.cirad.fr

[2]   http://umr-pvbmt.cirad.fr

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