Le Tacca de Madagascar, tubercule oublié
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Se nourrir de Tacca n’est pas sans risque, d’après les populations vivant au nord de la région d’Antsinanana. Leur consommation rend ivre, disent les plus optimistes. Les autres pensent qu’elle entraîne la mort : certains paysans se gardent bien d’en nourrir leurs poules, de crainte qu’elles ne passent pas la nuit.
Au sud de la région, les Taccas servent cette fois de nourriture d’appoint en période de soudure ou de pénurie. Ils sont consommés sous forme de tapioca, ou entrent dans la confection de galettes de miel particulièrement appréciées avec le café.
Cette diversité des savoirs traditionnels liés aux Taccas est étudiée dans un récent état des lieux ethnobotanique dirigé par le Département de Biologie et Ecologie Végétales de l’Université d’Antananarivo. L’inventaire se concentre sur la région d’Antsinanana, l’une des 22 régions de Madagascar, située sur sa côte Est et qui fait presque 8 fois la taille de l’île de la Réunion. Mené dans le cadre du projet Germination, l’état des lieux permet de découvrir les us et coutumes liés à cette plante sauvage, que l’on retrouvait couramment dans l’alimentation malgache… il y a un siècle.
Du Tacca sur les textiles
Au début du XXème siècle, le Tacca, aussi appelé tavolo ou kabija, faisait partie des ressources naturelles dont l’exploitation était considérée comme particulièrement prometteuse : la fécule de Tacca remplaçait avantageusement l’amidon utilisé dans l’industrie textile. Pendant plus de 30 ans, la Grande Île a exporté des milliers de tonnes de fécule de tavolo vers les pays de la vieille Europe. Un commerce qui s’effectuait par navire, les fécules devant traverser deux océans avant d’arriver à bon port.
Mais progressivement, le manioc a pris l’avantage sur le Tacca. En plus d’engranger des rendements supérieurs, la préparation du manioc est bien moins fastidieuse (plusieurs trempages sont nécessaires à la détoxification des tubercules de Tacca). Difficiles à cultiver, pénibles à préparer, les Taccas sont petit à petit tombés dans l’oubli.
Une récolte anecdotique
Aujourd’hui, leur récolte est anecdotique. En tout, huit espèces de Taccas poussent à Madagascar, dont deux dans la région d’Antsinanana : Tacca leontopetaloïdes et Tacca artocarpifolia. Le premier se trouve dans des zones à végétation buissonnante de type savane ou dans les champs cultivés ; le second, lui, est inféodé aux forêts tropicales, comme celles de Tampolo ou de Vatomandry. Bien que les deux espèces soient comestibles, seul Tacca leontopetaloïdes est cueilli dans un but alimentaire ou pour être vendu sur les marchés – des pratiques de plus en plus rares, souvent entraînées par le besoin.
De son côté, Tacca artocarpifolia occupe une place importante dans la région de Tampolo, où il est utilisé en médecine traditionnelle. Ses feuilles servent par exemple à préparer des tisanes qui ont le pouvoir, disent certains, de briser un sortilège.
Déjà désuets, les Taccas pourraient bien complètement disparaître. Leurs habitats naturels se dégradent, dû à l’exploitation illégale des ressources naturelles et à la pratique du tavy, la culture sur brûlis pratiquée à Madagascar. L’inventaire réalisé par le Département de Biologie et Ecologie Végétales de l’Université d’Antananarivo représente un travail inédit ; il serait maintenant intéressant de l’élargir, avant qu’il ne soit trop tard.
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