Ressources génétiques et législation - Rencontre à deux voix avec Claire Neirac et Dominique Dessauw

Rédigé par Alexandre Reteau Modifié le

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  • Claire Neirac et Dominique Dessaw © Reteau Alexandre Cirad

Une vingtaine de participants, représentant six pays différents de l'océan Indien, se sont rassemblés courant janvier au Pôle de Protection des Plantes de Saint Pierre (la Réunion), pour y suivre une formation sur les aspects juridiques relatifs aux ressources végétales agricoles. La juriste Claire Neirac et le chercheur Dominique Dessauw, tous deux du Cirad, étaient les intervenants de cette formation organisée dans le cadre du projet Germination. A l’issue de celle-ci ils nous ont accordé une entrevue, abordant dans un discours à deux voix les aspects législatifs encadrant le transfert et la valorisation de ressources végétales agricoles.




Les questions abordées lors de cette formation font référence à des traités internationaux tels que le protocole de Nagoya et le Tirpaa[1].  Pourriez-vous nous expliquer ce que représentent ces accords et quels en sont les enjeux ?

Claire Neirac : Dans le contexte international, on considère aujourd’hui, que les ressources génétiques ne sont plus d’accès libre pour tous en tant que « patrimoine commun de l’humanité ». Un principe général de souveraineté des états leur donne la faculté  de réglementer l’accès à leurs ressources naturelles et de négocier un partage des avantages découlant de cette utilisation. C’est donc un rapport bilatéral qui est établi entre les parties qui fournissent les ressources génétiques et ceux qui en font la demande. Parallèlement, la FAO a travaillé à la mise en place d’un système dans lequel les ressources génétiques peuvent être échangées librement entre les pays, le partage des avantages consistant en cette mise à disposition des ressources et à l’alimentation d’un fond monétaire servant à des actions de développement.

Dominique Dessauw : Le Traité International, le Tirpaa, a été mis en place pour faciliter les échanges de ressources génétiques dans un but de sécurité alimentaire, échanges qui avaient été un peu restreints par la Convention sur la Diversité Biologique (CDB).

Quels sont les intérêts de tels protocoles internationaux pour des projets régionaux comme Germination ?

DD : En réalité nous nous situons dans un cas plutôt contraire : le projet Germination peut aider les partenaires, et indirectement les pays de l’océan Indien, à adopter des réglementations à part, ainsi qu’à y voir clair dans ce qu’il est possible de demander comme partage des avantages par rapport à leurs ressources génétiques et leurs spécificités.

CN : Il y a également un certain nombre de pratiques et de procédures qui peuvent être harmonisées au travers de l’exemple de ces protocoles internationaux, ce qui permettra de gagner en logistique et en lisibilité. Un avantage conséquent pour un projet de coopération.



Les intérêts de ces accords semblent être essentiellement dirigés vers le monde de la recherche, vers les états et/ou les entreprises… qu’en est-il de la biodiversité et des populations locales ? 

CN : On ne les oublie pas du tout. Une lecture un peu superficielle de ces mécanismes d’APA[2]  pourrait laisser penser que ce sont uniquement des négociations entre les partenaires directs qui procurent des avantages à ces mêmes partenaires. Alors que souvent ces projets ont des objectifs qui vont au-delà de leurs propres intérêts dans la mesure où les actions de développement ont justement vocation à profiter aux populations locales, aux petits producteurs.

DD : Et de plus, ces traités, CDB comme le protocole de Nagoya, prévoient aussi le partage des avantages liés à l’utilisation des savoirs traditionnels associés aux ressources génétiques ; des savoirs traditionnels obtenus chez des populations locales, autochtones. Donc elles sont pleinement impliquées aujourd’hui par le protocole de Nagoya.

Un moyen d’éviter peut être ce que l’on nomme « biopiraterie » ?

CN : La biopiraterie est un terme relativement flou qui regroupe beaucoup de choses qui ont surtout en commun le fait d’être épidermiques. Ce que l’on préfère évaluer c’est l’impact que toutes ces mesures peuvent avoir sur la biodiversité.

Le fait d’associer des populations locales peut permettre de leur expliquer l’intérêt des recherches menées et en quoi cela les concerne. Ça peut leur permettre de découvrir l’intérêt de la protection de cette biodiversité qui, parfois, passe après des besoins immédiats de survie ; passer d’une vision à court terme vers une vision à long terme tout en prenant en compte les besoins de ces populations. […] Ce sont des projets qui ont vocation à sensibiliser et à développer la préservation de la biodiversité.



Revenons sur la formation qui vient d’avoir lieu. De votre point de vue, les objectifs fixés au départ ont-ils étés atteints ?

DD : Globalement on peut dire que l’on a atteint notre objectif principal : établir un guide de bonnes pratiques[3] relativement élaboré. […] On est arrivé à une base solide qui sera à améliorer au fil du temps avec l’appui de nos partenaires. On a défini des procédures avec des formulaires relativement avancés, qui certes peuvent toujours être améliorés, mais qui, par rapport à d’autres formats sur lesquels nous avons déjà travaillé, sont relativement bien élaborés compte tenu de la durée de la formation.

CN : C’était aussi l’occasion de pouvoir présenter un langage commun et des exemples plus clairs vis-à-vis des décideurs, l’occasion de faire passer le message de ce qui est important pour la recherche, important pour les populations impliquées et que cela puisse être pris en compte dans des mesures que l’on formalise après.

DD : Pour nous, à l’intérieur même du Cirad, c’est un très bon exemple de collaboration sur lequel il faudrait communiquer plus : la mise en place d’un partenariat régional qui débouche sur une mise en commun et une prise en compte des spécificités propre aux différents pays partenaires est un très bon exemple qui mériterait d’être plus développé à l’intérieur même du Cirad.

CN : Ils sont un peu précurseurs dans ces démarches partenariales. […] Les partenaires ont tous travaillé sur un pied d’égalité avec une écoute et un respect réciproque manifeste, avec une volonté de coopérer très forte. C’est un objectif atteint pour le projet Germination.

DD : Maintenant l’objectif de cette formation ne sera vraiment atteint que si les participants ont eux aussi atteint leurs objectifs, […]. Si eux ont atteint leurs objectifs alors nous avons atteint ceux de la formation.









Pour aller plus loin :

[1]  Traité International sur les Ressources Phytogénétiques pour l’Alimentation et l’Agriculture
[2]  Accès aux ressources génétiques et Partage des Avantages liés à leur utilisation, défini dans le cadre de la CDB. On y précise les avantages et retombées que peuvent attendre les différentes parties suite à l’utilisation ou à la valorisation de la ressource génétique faisant l’objet de l’APA.
[3]  Lors de cette formation, les partenaires du projet Germination ont pu établir un guide de bonnes pratiques qui, au-delà de l’aide qu’il peut apporter afin de procéder à des transferts de matériel génétique, propose un cadre préférentiel facilitant la collaboration au sein du réseau Germination.

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