Les fougères des Mascareignes - La conquête d'un archipel volcanique

Rédigé par Alexandre Reteau Modifié le

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  • Ctenitis maritima © Reteau Alexandre
  • Elaphoglossum splendens © Hugo Santacreu - Pl@ntnet

De la cime des canopées tropicales aux profondeurs des tunnels de lave, les fougères occupent un nombre incroyable d’habitats disparates. Les Mascareignes, pourtant relativement jeunes (du moins à l’échelle géologique),[1] comptent sur leur territoire pas moins de 232 espèces de fougères dont 46 endémiques.[2]

Colonisation, spéciation, acclimatation... l'étude de la conquête des Mascareignes par les fougères est une immersion au cœur des mécanismes évolutifs.

Mieux comprendre l'évolution des espèces en étudiant les Îles volcaniques

L’archipel des Mascareignes représente un cas d’étude particulièrement intéressant pour les écologues et les biologistes évolutionnistes. En raison de leur origine volcanique, ces îles-ci ne furent jamais reliées au continent. Ainsi, les espèces végétales que l’on y trouve sont issues d’événements de colonisation distincts, caprices des courants marins ou aériens.

Etudier la manière dont les fougères se sont implantées aux Mascareignes permet de mieux comprendre le fonctionnement des phénomènes de colonisation et de spéciation[3] en milieu insulaire. Ces phénomènes sont les moteurs de la théorie de l’évolution. Les travaux menés ces dernières années par les équipes du Muséum National d’Histoire Naturelle permettent d’estimer à plus de 197 le nombre d’événements distincts qui ont permis la colonisation de ces îles par les fougères. [4]

Les observations des chercheurs montrent que, dans le cadre particulier des Mascareignes, les fougères épiphytes[5] ont fait des colonisatrices plus efficaces que les fougères terrestres. Et de fait, les épiphytes sont proportionnellement bien plus nombreuses à La Réunion et à Maurice qu’elles ne le sont à Madagascar, d’où un grand nombre d’entre elles sont pourtant originaires.


Fougères épiphytes © Reteau Alexandre
L'humidité qui règne dans les forêts du Sud Sauvage de la Réunion favorise le développement de fougères épiphytes qui se servent des troncs comme support.

En se focalisant sur l’étude de différentes familles de fougères les chercheurs ont mis en évidence l’existence de plusieurs types de « stratégies » colonisatrices. Lors d’une présentation effectuée à Saint Pierre de la Réunion, le biologiste Jean Yves Dubuisson s’est appliqué à décrire deux d’entre elles.

Favoriser la reproduction sexuée, la stratégie des Hymenophyllaceae

Les  Hymenophyllaceae sont des fougères majoritairement épiphytes. Leur nombre et leur abondance aux Mascareignes en font un des taxons les plus représentés sur l’archipel. Leurs gamétophytes, les organes qui permettent la reproduction sexuée, ont une durée de vie plus longue que chez leurs cousines terrestres. La probabilité de rencontre des gamètes entre deux individus d’une même espèce est ainsi augmentée, puisque les gamétophytes sont viables plus longtemps.

Cette caractéristique s’avère particulièrement intéressante lors d’événements de colonisation reposant sur un faible nombre d’individus… ce qui fut probablement le cas aux Mascareignes où l’océan Indien joue un rôle de barrière naturelle. La longue durée de vie des gamétophytes aurait ainsi permis de contourner ce problème et de permettre une reproduction sexuée malgré le nombre réduit d’individus à l’origine de la colonisation.

La plasticité écologique, le pari gagnant du genre Asplenium

Le genre Asplenium est lui aussi fortement représenté dans l’archipel mascarin. Les Aspleniaceaepuisque c’est ainsi qu’on les nomme, doivent leur succès colonisateur à l’impressionnante plasticité écologique de leur famille. Les espèces qui composent ce taxon présentent une très importante diversité et donc une affinité avec un grand nombre d’habitats différents.

Résultat, même si celles-ci ne sont pas forcément les plus nombreuses ou les plus résistantes, elles peuvent occuper un grand nombre d’environnements divers et variés, et s’implanter là ou d’autres fougères n’auraient pas réussi à survivre. Sur ce point, l’incroyable diversité d’écosystèmes et de micro climats présents à La Réunion et à Maurice a joué en leur faveur. Il est peu d’habitats qui ne soient pas colonisés par une fougère appartenant au genre Asplenium.

Un faible taux d’endémisme en comparaison à Madagascar

Sur les 232 espèces indigènes aux Mascareignes, 46 seulement sont endémiques. Une proportion assez faible comparée à ce que l’on trouve sur l'île de Madagascar qui compte 253 espèces endémiques pour 583 espèces indigènes.

Pour expliquer cette différence, plusieurs hypothèses sont à l’étude. La première invoque un effet du hasard, on parle alors d’effet stochastique.[6] Le phénomène de spéciation étant intimement lié au hasard, ce paramètre pourrait expliquer à lui seul les différences observées. 


Tapis de fougères à l'ombre des vacoas © Reteau Alexandre
Sur la côte Est de l'île de la Réunion, qu'elles soient terrestres ou épiphytes, les fougères profitent de l'humidité et de l'ombre que leur fournissent les forêts de vacoas.

La jeunesse de l’archipel des Mascareignes pourrait elle aussi servir d’explication au faible taux d’endémisme que l’on observe. Séparée du continent africain il y a 120 millions d’années, Madagascar fait figure de vieille dame comparée aux jeunes îles volcaniques que sont La Réunion et Maurice (âgées respectivement de 5 et 15 millions d’années).

Une dimension temporelle qui expliquerait pourquoi le taux d’endémisme est plus élevé à Madagascar que dans les Mascareignes. Cela fait bien plus longtemps que des fougères évoluent et se diversifient sur la grande île alors qu’elles viennent à peine de débarquer dans les écosystèmes mascarins.

Autre hypothèse soulevée par les chercheurs : la possible existence d’un « effet d’aire ». Beaucoup d’espèces présentes aux Mascareignes viennent de Madagascar ou y ont transité. Lors de leur séjour sur l’île-continent il est probable que certaines d’entre elles se soient adaptées à des conditions environnementales parfois très proches de celles que l’on trouve aujourd’hui dans les Mascareignes. Par conséquent, arrivant sur l’île de la Réunion ou de Maurice, ces fougères n’ont pas eu « besoin » de se diversifier, elles étaient déjà parfaitement adaptées aux conditions locales.

Comme souvent en biologie évolutive, la réalité se trouve certainement à la croisée de ces trois hypothèses, le temps, l’effet d’aire et le hasard expliquant le faible taux d’endémisme observé chez les fougères des Mascareignes.




[1]  L'archipel des Mascareignes fait office de petit nouveau dans la région. Comptez entre 3 et 5 millions d’années pour la Réunion, 7 et 15 millions d’années pour l’île Maurice et une dizaine de millions d’années pour la partie immergée de Rodrigues.

[2] Une espèce endémique est une espèce originaire d’un endroit donné et/ou que l’on ne retrouve que dans ce même endroit.
[3] La spéciation est un processus évolutif menant à l’ « apparition » d’une ou plusieurs nouvelles espèces.
[4] Hennequin et al. 2014. Evolutionary patterns in the assembly of fern diversity on the oceanic Mascarene Islands. Journal of Biogeography. (2014) 41, 1651–1663.
[5] On nomme épiphyte une espèce végétale, qui se sert d’autres plantes comme support sans la parasiter.
[6] La stochasticité est un paramètre important dans les phénomènes évolutifs et au sein de sélection naturelle. C’est le fait d’invoquer le hasard, l’aléatoire, pour expliquer un phénomène. Dans le cas qui nous intéresse, l’apparition ou la disparition d’espèces.

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