Le CRB Vatel partenaire de deux études sur la biosynthèse et l’accumulation de vanilline chez Vanilla planifolia

Rédigé par Alexandre Reteau Modifié le

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  • Illustration Vanille vanilline  © Cirad - Alexandre Reteau
  • Coupe transversale d'une gousse de vanille  © Cirad - Alexandre Reteau
  • Tissus cellulaires d'une gousse de vanille © Cirad - Alexandre Reteau
  • Biosynthèse enzymatique de vanilline  © Cirad - Alexandre Reteau

Un des principaux rôles des Centres de Ressources Biologiques (outre participer à la sauvegarde de la biodiversité) est de mettre à disposition de la recherche les ressources qu’ils hébergent.  En ce sens ils font de formidables partenaires pour le monde scientifique : les espèces et variétés conservées en leur sein sont issues de lignées identifiées et caractérisées avec soin. Un atout considérable pour les chercheurs qui, dans le cadre de leurs expérimentations, souhaitent en maîtriser au maximum les paramètres.


Le CRB Vatel de Saint-Pierre (Réunion) est donc régulièrement sollicité pour mettre à disposition d’équipes de recherche certaines des ressources biologiques dont il a la garde. Récemment, deux publications qui ont contribué à l’avancement des connaissances sur la synthèse de vanilline[1] sont issues d’une collaboration avec le CRB Vatel et sa collection de vanilliers.

De l’accumulation de vanilline dans les phényloplastes, au sein des gousses de vanille


Coupe transversale d'une gousse de vanille  © Cirad - Alexandre Reteau
Au sein d'une gousse de vanille, la vanilline s'accumule dans la partie interne du mésocarpe.

Depuis la publication des travaux d'Eric Odoux et de Jean Marc Brillouet en 2009, nous savons que la vanilline, métabolite secondaire de l’orchidée tropicale Vanilla planifolia, est synthétisée au sein du mésocarpe interne de la gousse de vanille. Restait alors à éclaircir la question de son stockage à l'échelle cellulaire. En effet, concernant la vanilline, l'hypothèse communément admise d'une accumulation de métabolites secondaires au sein des vacuoles semble ne pas s'appliquer. C'est ce qui fut mis en évidence par la première des deux études dont le CRB Vatel fut partenaire.

Publiée dans le « Journal of Experimental Botany » en mars 2014, cette étude est issue du travail d’une équipe Montpelliéraine, menée conjointement par l’Inra et le Cirad. Elle démontre que, à l’intérieur des cellules végétales, la vanilline est stockée au sein de « phényloplastes », d’anciens chloroplastes[2] dont la fonction photosynthétique originelle a été déviée pour en faire des organites de stockage. Le stockage ayant lieu au sein des phényloplastes cela permet aux cellules de maintenir leur pression osmotique malgré la production massive de vanilline. Une trop grande concentration de métabolites secondaires dans le cytoplasme bouleverserait l’équilibre hydrique de la cellule, menant irrémédiablement à son implosion. Accumuler la vanilline dans les phényloplastes est donc un moyen efficace d’éviter ce type de désagrément.


Tissus cellulaires d'une gousse de vanille © Cirad - Alexandre Reteau
Les chloroplastes des cellules internes de la gousse se sont redifférenciés en phényloplastes, stockant de grandes quantités de vanilline. Les chloroplastes des cellules externes continuent quant à eux leur activité photosynthétique.

Toutefois, à forte dose la vanilline est un composé toxique pour les cellules vivantes. Comment l’espèce Vanilla planifolia peut-elle alors en accumuler dans de telles quantités[3] sans que cela procède d’un suicide végétal ?

Au sein des gousses, la vanilline est en fait associée à un sucre, selon un procédé que l’on nomme glycosylation, ce qui en enlève le caractère toxique. Glycosylée, elle peut alors être stockée massivement dans les phényloplastes, sans pour autant que cela devienne néfaste pour la plante. Et, si d’aventure les gousses venaient à être endommagées, notre inoffensive gluco-vanilline serait alors libérée ; mise en présence d’eau elle subirait une hydrolyse l’affranchissant de son sucre associé. La vanilline, dissociée du glucose, récupérerait alors son caractère toxique à l’échelle cellulaire.

De l'acide férulique à la vanilline, une biosynthèse catalysée par l’action d’une unique enzyme : la vanilline synthase

La seconde étude à laquelle le CRB Vatel fut associé est signée d’une équipe de biochimistes Danois. Jusqu’ici la voie de biosynthèse empruntée dans la gousse de vanille pour obtenir de la vanilline nous était inconnue. Il existe en réalité de nombreuses voies possibles permettant d’aboutir à la production de ce composé aromatique. Seulement nous ne savions pas laquelle était empruntée chez notre orchidée tropicale.[4] Selon les travaux menés par l’équipe Danoise, publiés dans « Nature-communications » en juin 2014,  la vanilline est en réalité synthétisée dans la partie interne de la gousse de vanille, à partir d’acide férulique[5] . Cette synthèse est catalysée par une enzyme unique, et non par l’action successive de nombreuses enzymes, comme supposé jusque-là. Cette enzyme fut donc judicieusement baptisée « vanillin synthase ».[6]

Il est d’ailleurs fort probable, au vue des nombreuses voies biochimiques à disposition pour la synthèse de vanilline, que les voies de biosynthèse empruntées puissent différer selon les conditions extérieures. Cette plasticité adaptative, qui est une assurance pour la plante en cas de carence ou de stress, est observée chez de nombreux végétaux. Par conséquent, il ne serait pas surprenant d’apprendre que la vanille puisse en faire de même.


Biosynthèse enzymatique de vanilline  © Cirad - Alexandre Reteau
La vanilline est obtenue à partir d’acide férulique lors d’une réaction catalysée par une seule enzyme : la vanilline synthase. Au sein des cellules, elle est stockée sous sa forme glycosylée : la glucovanilline.

« Si la vanille ne devait son arôme qu’à la vanilline, cela fait bien longtemps que sa culture aurait été abandonnée »

Toutefois la vanilline, seule, ne permet pas de reproduire la complexité des flaveurs de la gousse de vanille. Les études sur la vanille revêtent donc un caractère économique important, d’intérêt majeur pour le domaine agro-alimentaire qui cherche à en reproduire artificiellement le bouquet aromatique complet. La vanilline n’est en fait qu’un des nombreux arômes qui confèrent à la vanille naturelle sa spécificité.

« Si la vanille ne devait son arôme qu’à la vanilline, cela fait bien longtemps que sa culture aurait été abandonnée » confie Michel Grisoni, co-auteur de ces deux articles et responsable des collections de vanilliers du CRB Vatel. En effet la culture de la vanille est complexe, capricieuse et présente de faibles rendements. Par conséquent, les gousses de vanille sont des produits onéreux alors que cela fait plus d’un siècle que nous savons produire artificiellement de la vanilline à bas cout. Si la vanille est encore cultivée à grande échelle, c’est en grande partie dû au fait que nous ne savons toujours pas reproduire l’arôme riche et complexe des gousses de vanille préparées selon les procédés traditionnels.[7]

Il semble donc que la recherche sur la vanille ait encore de beaux jours devant elle. Espérons que le CRB Vatel continuera à y contribuer activement, notamment grâce au savoir-faire de ses techniciens qui conservent en son sein plus d’une soixantaine de variétés de vanilliers.



Pour aller plus loin :

La vanilline soupçonnée d'être un
attractif à destination des disséminateurs

 



Références :

Brillouet et al. 2014. Phenol homeostasis is ensured in vanilla fruit by storage under solid form in a new chloroplast-derived organelle, the penyloplast. Journal of Experimental Botany, vol 65, 2427-2435.

Gallage et al. 2014. Vanillin formation from ferulic acid in Vanilla planifolia is catalysed by a single enzyme. Nature communications, 5, 4037.

Fock-Bastide et al. 2014. Expression profiles of key phenylpropanoid genes during Vanilla planifolia pod development reveal a positive correlation between PAL gene expression and vanillin biosynthesis. Plant Physiology and Biochemistry, vol 74, 304-314.

Odoux et Brillouet. 2009. Anatomy, histochemistry and biochemistry of glucovanillin, oleoresin and mucilage accumulation sites in green mature vanilla pod (Vanilla planifolia; Orchidaceae): a comprehensive and critical reexamination. Fruit, vol 64, 221-241.


[1] La vanilline est un composé aromatique, produit naturellement dans les gousses de vanille, qui participe à leur conférer leur arôme caractéristique.
[2] Ces organites cellulaires, situés dans le cytoplasme des cellules végétales, sont le siège de la photosynthèse. Ils utilisent l’énergie lumineuse pour répondre aux besoins énergétiques de la plante.
[3] La vanilline peut représenter jusqu’à 20% de la matière sèche d’une gousse de vanille.
[4] A titre d’exemple, les travaux d’Isabelle Fock-Bastide, publiés début 2014, proposaient quelques pistes sur les voies métaboliques possiblement empruntées pour la biosynthèse de vanilline.
[5] Présent chez de nombreux végétaux, l’acide férulique est un des composants de la lignine, molécule qui confère leur rigidité aux parois végétales. Particulièrement abondant et peu couteux il est utilisé de manière industrielle pour la synthèse artificielle de vanilline.
[6] Il y a là de quoi saluer le pragmatisme des chercheurs, à défaut de pouvoir en louer la fibre poétique.
[7] Depuis peu il existe un autre facteur qui en favorise la culture : la demande du consommateur à bénéficier de produits de qualité  et « authentiques » plutôt que de produits de synthèse issus de laboratoires.

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