Regard d’un virologue sur la préservation de la biodiversité végétale – Rencontre avec Thierry Candresse

Rédigé par Alexandre Reteau Modifié le

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  • Thierry Candresse © Cirad - Sannti Dinnoo

Thierry Candresse, virologue à l’Inra au sein de l’Unité Mixte de Recherche « Biologie et Pathologie du Fruit » avec l’université de Bordeaux, nous a accordé quelques instants lors de sa visite au Cirad de Saint-Pierre, sur l’île de la Réunion.

C’est au sujet de projets qui, tel Germination, cherchent à préserver la biodiversité végétale d'intérêt agronomique, que nous voulions bénéficier du point de vue de pathologiste du chercheur bordelais Thierry Candresse. Plus particulièrement lorsque ces ressources sont sous la forme de collections, conservées au sein de Centres de Ressources Biologiques[1] .

Regard d’un virologue sur la préservation et la caractérisation de la biodiversité végétale:

« Il n’y a aucun doute à avoir quant à l’intérêt de préserver cette biodiversité »

 « A mon sens, il y a un réel intérêt à connaitre, documenter et préserver la diversité génétique des espèces cultivées et de leurs parents proches. On sait que, dans un certain nombre de cas, intensification et industrialisation de l’agriculture par exemple, nous risquons de voir des variétés locales disparaitre. Variétés qui qui auraient pu se révéler intéressantes dans l’avenir. Bien sûr, une variété ancienne ne sera pas systématiquement intéressante. Souvent, elles le sont peu, car ne répondant pas aux attentes actuelles pour un certain nombre de propriétés technologiques ou sur des paramètres de rendement. Néanmoins, elles pourraient présenter un assemblage de gènes ou d’allèles particuliers, leur conférant une meilleure adaptation à des conditions locales, et pourraient donc être utilisées pour des croisements. Donc il n’y a aucun doute à avoir quant à l’intérêt de préserver cette biodiversité. »

« Conserver une ressource végétale c’est aussi en conserver les pathogènes »

 « Après, et c’est peut être ma sensibilité de pathologiste, ce que l’on voit c’est que ces collections de ressources génétiques sont généralement mises en place par des généticiens. Donc des gens qui n’ont pas nécessairement une vision de pathologiste. Ce qui fait que ces collections de ressources végétales sont souvent des collections de pathogènes. Une variété locale, prélevée sans précautions particulières, a ainsi de bonnes chances d’être infectée. Dans un certain nombre de situations, conserver une ressource végétale c’est aussi en conserver les pathogènes. »

« Si l’on a, au milieu de notre CRB, une plante qui contient un virus, il va pouvoir se répandre dans la collection et la contaminer. Cela soulève donc des questions de distribution et d’utilisation des ressources génétiques, des questions de sécurisation. Si l’on rentre une variété d’Afrique, on n’a pas forcément envie de rentrer tous les virus associés. Ni de les diffuser en même temps que le matériel végétal. Ainsi, de nombreux travaux vont aujourd’hui dans le sens de mieux caractériser les ressources génétiques en termes de contenu en agents pathogènes. »

« On va avoir tendance à passer sous silence la possible contribution de l’épigénome viral »

« Si l’on va au bout du raisonnement, un généticien qui cherche à caractériser des ressources génétiques va considérer qu’il dispose d’une plante, seulement une plante. Or, dans un certain nombre de situations, cette plante est infectée par des virus. Cette infection risque d’impacter certains caractères phénotypiques que le généticien va vouloir mesurer. Il estimera alors que ces caractères sont l’expression du génotype de la plante, ou de l’interaction entre l’environnement et le génome végétal. Par contre, on va avoir tendance à passer sous silence la possible contribution de l’épigénome viral que représentent les virus associés à cette plante. » 

« Si certaines de vos plantes sont infectées, cela va nécessairement biaiser vos calculs »

« J’ai beaucoup de mal à convaincre mes collègues généticiens de l’influence que peut avoir une infection sur le phénotype de la plante. Et ce malgré les données de la littérature montrant qu’une infection virale peut, par exemple, modifier la date de floraison chez les espèces qui les intéressent. Si certaines de vos plantes sont infectées, cela va nécessairement biaiser vos calculs. Il faudrait que l’on commence à se poser la question de l’impact d’une infection virale sur les plantes. Est-elle neutre ? Y a-t-il des conséquences sur le phénotype ? Sont-elles positives ou négatives ? Du point de vue de l’Homme ou de la plante ? »

« Je pense donc que ces ressources génétiques, que l’on rentre en collection et que l’on va caractériser, peuvent être impactées par des facteurs biotiques. Je parle de virus mais on pourrait parler de viroïdes ou de bactéries. Il existe aujourd’hui des approches de méta-génomique[2] qui nous permettent, pour la première fois, de le faire assez proprement. C’est pour moi une dimension importante à intégrer nos raisonnements. Pour une raison sanitaire évidente : ne pas diffuser du matériel infecté par des agents pathogènes. Mais aussi en raison de l’influence des virus sur les phénotypes : le trait en question est-il entièrement déterminé par le génotype de la plante ou y a-t il une contribution pouvant venir de cet épigénome viral, jusqu’à présent très largement ignoré ? »

« Beaucoup d’efforts de recherche risquent d’être limités si l’on ne se préoccupe pas de collecter aussi des informations sur l’impact du contenu en agents infectieux. »


Thierry Candresse © Cirad - Shannti Dinnoo
Thierry Candresse lors de sa présentation au Cirad de Saint Pierre (Réunion)



[1] Les Centres de ressources Biologiques (CRB) sont des organismes dont le but est de conserver des ressources génétiques. Dans le cas qui nous intéresse, ce sont des ressources végétales d’intérêt agronomique, généralement conservées sous la forme de graines cryogénisées ou simplement en étant cultivées en champs ou en tunnels.
[2] La métagénomique est une technique qui permet de procéder à un séquençage complet du contenu génétique d’un échantillon. Par conséquent elle permet l’analyse de l’Adn végétal étudié mais aussi celui des virus et des bactéries présents dans ce même échantillon.

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