Claudine Ah-Peng : "Les bryophytes : des plantes à la base de l’arbre du vivant"

Rédigé par David JOSSEROND Modifié le

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  • Claudine Ah-Peng

Claudine Ah-Peng est chercheur au sein de l’UMR PVBMT (Peuplements Végétaux et Bioagresseurs en Milieu Tropical) et spécialiste des bryophytes. Elle coordonne à ce titre un projet baptisé Moveclim (Montane vegetation as listening posts for climate change, using bryophytes and ferns as bioindicators of climate change), qui se propose d'étudier les bryophytes et les fougères tropicales comme indicateurs biologiques du changement climatique.

Qu’est-ce qu’une bryophyte?

- Les bryophytes sont des plantes pour la plupart non vasculaires composées par les mousses, les hépatiques et les anthocérotes. Ces trois lignées de plantes se situent à la base de l’arbre du vivant à partir duquel toutes les autres plantes terrestres ont évolué. Elles ont ainsi joué un rôle pivot dans la colonisation terrestre par les plantes. Les bryophytes constituent actuellement environ 20000 espèces et sont largement distribuées à travers le monde : des pôles à l’équateur, du niveau des océans au sommet des montagnes, elles occupent une multitude de micro-habitats (sol, arbres,feuilles vivantes, humus, rochers etc..) et s’adaptent à des conditions parfois inhospitalières pour le reste du règne végétal (fortes températures et ensoleillement).

Quel est leur rôle dans l’écosystème et en quoi constituent-elles des indicateurs biologiques précieux des changements climatiques ?

- Les connaissances portant sur ces plantes restent à l’heure actuelle relativement faibles par rapport aux plantes à fleurs. Mais tout le monde s’accorde à dire que les bryophytes jouent un rôle primordial, notamment dans le cycle des éléments et de la ressource en eau dans les écosystèmes. Les bryophytes n’ayant pas de racines, elles absorbent l’eau et les nutriments directement de l’atmosphère, et sont donc très dépendantes de leur environnement et sensibles à ses variations.

Pourquoi les surnomme-t-on d’ailleurs les sentinelles de l’environnement?

- Les plantes cryptogames (lichens et bryophytes) sont connues pour être très sensibles à leur environnement, et aux contaminants atmosphériques en particulier. Depuis la moitié du XXème siècle, ces plantes ont ainsi été utilisées comme bio-indicateurs de la pollution atmosphérique et aquatique. Des études de bio-indication utilisent donc les propriétés des mousses et lichens comme bio-accumulateurs des contaminants (métalliques et organiques, parfois en radionucléides), en mesurant les concentrations de ces éléments dans les tissus de ces plantes. On parle alors de bio-surveillance active. Pour les écosystèmes dont la composition bryologique et les caractéristiques écologiques des espèces sont connues, il est également possible de déterminer avec l’arrivée et/ou la disparition de certaines espèces, des signes annonciateurs de perturbations du milieu. Il s’agit dans ce cas de bio-surveillance passive. L’idée est donc d’accroitre, en milieu tropical et dans les îles, les connaissances sur ces petites plantes, d’étudier leur taxonomie, leur écologie et leur écophysiologie, et ce afin de déceler dans le changement de la composition bryologique, les shifts d’espèces le long de gradients altitudinaux, et donc les signes d’un changement global sur ces écosystèmes. En effet, de précédentes études ont par exemple montré que la température définit les gammes altitudinales de la distribution des espèces de bryophytes, mais que la disponibilité de la ressource en eau définit leur croissance et leur distribution au sein de ces barrières.

Quelles sont leurs méthodes d’adaptation face aux changements climatiques ?

- Force est de constater que la capacité d’adaptation des bryophytes face aux variations de leur environnement (température, humidité relative)dépend fortement de l’intensité de ces changements et de la largeur de leur niche écologique. Aussi, il semblerait que les espèces vont avoir tendance à migrer vers le haut le long des montagnes afin de trouver leur optimum. Notre projet cherche donc à déterminer les gammes altitudinales actuelles des espèces, mais aussi l’optimum des espèces en terme d’abondance, croissance et de reproduction, afin de pouvoir modéliser la distribution de ces espèces en fonction des variations climatiques : température, humidité relative et précipitations.

Moveclim met en place, dans le cadre du réseau Net Biome, les premières analyses comparatives de la biodiversité tropicale sur différentes altitudes, en se basant sur les bryophytes.

- Effectivement. Initié en juin 2012, le projet Moveclim, qui réunit des acteurs de la recherche et de la gestion des milieux, permet de mieux connaître la taxonomie, la diversité et la distribution des bryophytes présentes dans des écosystèmes encore peu étudiés en bryologie. En moins d’un an, des transects comprenant deux placettes permanentes (10X10m) tous les 200 mètres ont ainsi été mis en place à la Réunion, à Pico (Açores), à La Palma (Canaries), en Guadeloupe et à Tahiti. Des relevés standardisés de bryophytes, fougères et de structure de la végétation ont également été réalisés, et sont en cours d’identification et d’analyse. Enfin, des capteurs de température et d’humidité relative, mis en place tous les 200 m le long de trois gradients, enregistrent au pas de temps horaire les variations climatiques dans chacune des îles. L’objectif est vraiment de pérenniser, dans le futur, les suivis de ces placettes permanentes et des relevés des stations climatiques. Les résultats* et recommandations issus de ces recherches pourraient ainsi directement être utilisés par les gestionnaires en vue d’une meilleure protection de ces milieux insulaires sensibles.

Quel pourrait-être déjà un premier bilan de ce projet de recherche ?

- Au vu des premiers résultats sur la Réunion, deux systèmes semblent fortement menacés : les forêts de nuage et les systèmes altimontains (subalpins et alpins). En effet, avec une augmentation des températures, l’altitude de la couche d’inversion de température qui bloque quotidiennement les nuages dans les îles s’élèvera, ce qui aura pour conséquence majeure de modifier la zone de nuages qui inondent chaque jour les forêts de montagne, dépendantes de cette ressource en eau. De même, en haute altitude, une augmentation des températures va accroitre l’aridité, et ainsi mettre en péril des communautés de plantes,majoritairement endémiques. En outre, ces communautés de plantes au sommet n’ayant pas d’autres milieux vers lesquels migrer, seront sujettes à l’extinction. C’est pourquoi Moveclim s’intègre également dans un réseau de surveillance des hauts sommets insulaires menacés, initié à Hawaï depuis aout 2012, intitulé : “Vulnerable islands in the sky : managementof tropical island alpine and sub-alpine ecosystems”.

* les premiers résultats pour chaque île devraient être disponibles fin 2013, et seront présentés au cours d’un workshop intermédiaire prévu en septembre 2013 à La Réunion, en présence des différents partenaires du réseau Net Biome. Ce premier workshop devrait notamment permettre de planifier une première publication d’analyse comparative inter-îles le long des gradients de distribution en bryophytes.

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