Le chancre asiatique des agrumes dans l’océan Indien

Rédigé par Jaëla Devakarne Modifié le

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  • © Cirad, Christian Verniere

Chute précoce des fruits et altération de leur qualité extérieure, défoliations, tels sont les symptômes provoqués par le chancre asiatique des agrumes. Causée par une bactérie du genre Xanthomonas[1], la maladie peut engendrer une perte de rendement allant jusqu’à 50% sur les espèces les plus sensibles en zone tropicale. De par la sévérité des symptômes qu’elle induit, elle  a été classée dans la liste des organismes de quarantaine dans plusieurs pays (USA, Australie, Union européenne, etc.) avec pour conséquence l’interdiction d’exporter des fruits frais pour les pays producteurs ne pratiquant pas de stratégie d’éradication performante.

Bien qu’il ne cause pas la mort des plantes qu’il infecte, le chancre des agrumes peut provoquer des dégâts majeurs. Il touche toutes les parties aériennes des plantes-hôtes sensibles en particulier les organes en croissance : feuilles, rameaux et fruits. Les lésions apparaissent sur les fruits et les feuilles sous forme de taches qui se transforment ensuite en petites pustules légèrement surélevées. La maladie se caractérise par la présence d'un halo jaune entourant les lésions. Sur les fruits, les lésions ne pénètrent pas dans l’épiderme sur plus de 1 à 3 mm, leur qualité interne n’est donc pas affectée. Un diagnostic uniquement visuel s'avère insuffisant du fait de possibilité de confusion de symptômes avec d'autres maladies des agrumes présentes dans la région (scab, cercosporiose, black spot).

Symptômes du chancre bactérien © Cirad - Christian Verniere
Symptômes du chancre bactérien des agrumes sur fruit (tangor)

Les recherches montrent qu’au sein des souches pathogènes, la gamme d'espèces et de variétés d'agrumes infectées est variable de même que la sévérité de la maladie. Une caractérisation approfondie de la bactérie peut donc être un guide pour la gestion des variétés d’agrumes. Afin de pouvoir caractériser plus précisément ces spécificités, la communauté scientifique s’est entendue pour définir une subdivision infraspécifique appelée le pathotype. Ce terme désigne un groupe de souches qui possède une gamme d’hôtes naturels différente d’un autre au sein du genre Citrus (et de quelques genres proches dans la famille des Rutacées). Chez le chancre des agrumes, quatre lignées génétiques ont été identifiées dans le monde. Parmi celles-ci, un nouveau groupe de souches a tout récemment été caractérisé dans plusieurs pays de la péninsule indienne, mais il reste encore très largement méconnu en terme d'impact agronomique et d'un point de vue académique. Sa présence dans la région sud-ouest de l’océan Indien (SOOI), où des échanges avec le sous-continent Indien existent, n'est pas connue.

Dans les îles du SOOI, l’introduction du chancre asiatique des agrumes a été observée à différentes périodes. Sa présence a été relevée dans les années 1940 à Maurice et à Rodrigues, dans les années 1960 à Mohéli et dans les années 1970 à la Réunion. Aux Seychelles, la maladie est présente mais n’avait pas fait l'objet d'une caractérisation approfondie. À Mayotte, elle a été introduite il y a moins d’une dizaine d’années. Une action d’épidémiosurveillance a été lancée dans le cadre du projet ePRPV (Élargissement et Pérennisation du Réseau de Protection des Végétaux) pour caractériser les souches présentes dans les îles du SOOI afin de déterminer si certains échanges inter-îles accidentels pourraient s'avérer dangereux. Elle actualise avec une approche analytique moderne des données acquises dans les années 1980-1990.

Actuellement, cette étude, menée par l’équipe du bactériologiste Olivier Pruvost, a permis de confirmer la présence de la maladie dans tous les territoires de la région y compris dans certaines îles où le statut de la maladie restait inconnu (Anjouan et Grande Comore). Dans la région, seule Madagascar n'a pas encore officiellement observé la maladie. Les analyses de génotypage, en phase finale de réalisation, ont permis pour la première fois de comparer génétiquement les souches des différents pays de la région (Réunion, Seychelles, Comores, Maurice et Maldives). Elles ont mis en évidence une assez grande homogénéité génétique et la présence très majoritaire d'une seule lignée de la bactérie sur l’ensemble des îles. Il s’agit malheureusement du groupe de souches ayant le potentiel invasif le plus important. Les souches de Mayotte présentent une très grande similarité génétique avec certaines souches d'Anjouan, suggérant une relation épidémiologique entre souches de ces deux îles. Un autre groupe spécifiquement pathogène des agrumes acides (citron galet, lime de Tahiti et combava) a été sporadiquement identifié par le passé dans une collection bactérienne originaire de Maurice. Une collecte menée à Maurice en 2015 est en cours d'analyse pour voir si ce groupe de souches est retrouvé sur le terrain. Ce travail aura également permis d'effectuer des actions de formation par la recherche de deux étudiantes comorienne et réunionnaise (master BEST de l'Université de la Réunion) et d'un ingénieur mauricien du FAREI.

Olivier Pruvost © Cirad - Jaëla Devakarne
Olivier Pruvost, Chercheur bactériologiste au CIRAD à La Réunion (UMR PVBMT Cirad - Université de La Réunion).

Pour limiter l’impact économique induit par la maladie, des méthodes de lutte, essentiellement basées sur la prophylaxie, ont été mises en place. Elles consistent à fournir aux agriculteurs des plants sains de variétés moins sensibles lors de la constitution des vergers. Le citronnier, le pamplemoussier, le mandarinier, certaines variétés d'oranger et le tangor sont peu sensibles à la maladie. Le mandarinier satsuma et le kumquat y sont partiellement résistants. Par ailleurs, s’agissant d’une bactérie aérienne, sa dissémination est tributaire des déplacements humains, des actions d'entretien des vergers et pépinières et des pluies combinées au vent. Un des moyens de limiter sa propagation est d'appliquer une irrigation localisée et de mettre en place des réseaux de haies brise-vent dans les parcelles. L'application préventive de sels de cuivre est également classiquement utilisée. Cependant, des souches présentes à La Réunion se sont montrées résistantes au cuivre. Une nouvelle thèse cofinancée par l’ANSES et le Cirad démarrera à la fin de l’année 2015 afin de mieux comprendre les déterminants de cette résistance.

[1] Xanthomonas citri pv. citri

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