Les Comores s’adaptent à l’inévitable

Rédigé par Shannti Dinnoo Modifié le

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  • Plage de Mitsamiouli, nord-ouest de la Grande Comore © Cirad - Shannti Dinnoo
  • Youssoufa Mohamed Ali, Coordinateur National du projet CRCCA © Cirad - Shannti Dinnoo

Ironie du sort, l’Union des Comores est un des pays émettant le moins de gaz à effets de serre au monde et pourtant, comme nombre de territoires insulaires, il est fortement vulnérable aux changements climatiques. Les effets des dérèglements actuels compromettent les efforts de développement entrepris par cette nation listée comme un des pays les moins avancés. Son économie dépend largement de l’agriculture qui représente environ 50% de son PIB[1]. Nous sommes allés sur place constater certaines actions d’adaptation à ces variations du climat dans le domaine agricole, concrétisées, entre autres, depuis juillet 2014 par le projet CRCCA.

Lors de la COP21 en décembre 2015, le président des Comores, Ikililou Dhoinine, s’est fait le porte-parole des écosystèmes insulaires fortement vulnérables aux dérèglements du climat : « Les petits états insulaires, comme mon pays l’Union des Comores, subissent les dérèglements du changement climatique de façon encore plus violente du fait de l’intensité des catastrophes naturelles, mais aussi de la pauvreté.»[2]

Vulnérabilité aux changements climatiques

Cette vulnérabilité se traduit par une difficulté à se redresser à la suite de chocs tels que des cataclysmes naturels. Elle est d’autant plus grande que la prospérité socio-économique d’un État dépend de ressources naturelles sensibles au climat (eau, biodiversité, élevage, pêche, agriculture, forêt, sols, etc.) et que le développement de ses infrastructures est trop faible pour contrer les effets défavorables des changements climatiques.[3]

D’après la seconde communication nationale sur le sujet, ces dérèglements seraient déjà perceptibles dans ce petit archipel du sud-ouest de l’océan Indien : diminution progressive des précipitations ; accroissement de la moyenne annuelle des températures ; augmentation de la fréquence et l’intensité des cyclones tropicaux ; élévation du niveau de la mer (érosion et submersion) ; inondations ; dégradation des sols… C’est pourquoi la réduction de cette vulnérabilité à travers le renforcement des capacités d’adaptation est devenue une priorité nationale.[3]

Adaptation aux changements climatiques

Préventive ou réactive, l’adaptation est considérée comme l’ensemble des réponses pouvant être utilisées pour réduire la vulnérabilité aux bouleversements du climat.[3]

Face à ce défi, le gouvernement comorien a donc fait appel au Fonds pour l’Environnement Mondial (FEM) et au Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD) pour le soutenir dans la mise en œuvre d’une stratégie nationale[4]. Elle s’organise au travers d’initiatives, gouvernementales ou non, dont le projet de Renforcement des capacités d’adaptation et de résilience du secteur agricole aux changements climatiques aux Comores (CRCCA).

De fait, outre l’impact sur la santé, les forêts et les zones côtières, les conséquences se font également ressentir dans le domaine agricole. Certains dérèglements, comme la baisse drastique des précipitations ou au contraire le passage  de  cyclones violents ou encore la destruction des sols, ont un impact direct sur l’agriculture du pays.[1]

L’objectif de ce projet est de diminuer la vulnérabilité des populations du secteur agricole soumises aux aléas climatiques. Sa pertinence vient du fait que la variabilité du climat accroît les risques pour le secteur agricole d’autant plus que les techniques de production actuelles exacerbent cette vulnérabilité.[5]

Il se décline en trois composantes :

La première consiste à intégrer l’adaptation aux changements climatiques dans les stratégies nationales, les programmes de développement ainsi que les projets intervenants en milieu rural.

La deuxième consiste, dans un pays où les stations météorologiques se raréfient[3], à mettre en place un service agrométéorologique au sein de l’Agence Nationale de l’Aviation Civile et de la Météorologie (ANACM), afin de diffuser des bulletins météorologiques à destination des producteurs, des organisations professionnelles agricoles ainsi que des pêcheurs (pour assurer la sureté en mer de ces derniers).[6]

Enfin, la troisième et la plus importante consiste à apprendre aux agriculteurs comoriens des techniques résilientes aux changements climatiques pour leur permettre d’adapter leurs pratiques agricoles. Dans le cadre du Plan d’Action National d’Adaptation au changement climatique (PANA), six zones d’interventions ont ainsi été identifiées comme sensibles tant du point de vue climatique que sanitaire et économique.

Nous sommes allés dans une de ces six zones pour visiter le Centre Rural de Développement Economique (CRDE) de Diboini-Hamalengo, dans les terres de la Grande Comore, et constater le déploiement de quelques-unes des initiatives de la composante 3 du projet CRCCA :

Quelques initiatives  du CRCCA, initiées ou à venir

#1 – Aménagement antiérosif de parcelles agricoles
Matérialisation des courbes de niveau des parcelles en pente par la construction de murets qui empêchent l’érosion du sol et limitent le ruissellement de l’eau de pluie.

#2 – Reboisement
Reboisement des têtes de sources et têtes de collines pour, selon Youssoufa Mohamed Ali, Coordinateur national du Projet CRCCA, « faciliter la pénétration de l’eau au niveau de la nappe phréatique et empêcher l’érosion des sols».

#3 – Introduction d’espèces et de variétés résilientes
Introduction de variétés de cultures vivrières, maraîchères, de rente et d’arboriculture fruitière qui seraient résilientes aux changements climatiques et aux maladies. Le projet CRCCA a par exemple une pépinière où les boutures de manioc H52 sont multipliées puis redistribuées aux paysans. Cette variété de manioc est très appréciée des producteurs parce qu’elle est jugée résistante à la mosaïque et plus tolérante à la sécheresse.

#4 – Vulgarisation d’un système d’irrigation
Pour lutter contre les périodes de sécheresses ou de précipitation irrégulières, le projet CRCCA vulgarise une méthode de gestion de la ressource en eau par un système dit de « petite irrigation ». La collecte de l’eau de pluie se fait au niveau d’impluviums, de « microbassins » et de citernes de 200 litres dans les champs qui permettent, grâce à un dispositif d’irrigation goutte à goutte, d’arroser les cultures.

« Cela permet dynamiser la culture maraîchère dans des zones où la saison sèche commence à se prolonger et la pluie à se raréfier » témoigne Soule Assoumani, paysan formateur du CRDE de Diboini.

Citerne d'irrigation dans un champ, Diboini, Grande Comore © Cirad - Shannti Dinnoo
Citerne d'irrigation dans un champ à Diboini, Grande Comore © Cirad - Shannti Dinnoo

#5 – Construction d’abris
Développer la culture sous abris pour protéger les cultures lors des périodes de pluies torrentielles.

#6 – Formation des paysans
Sur chacun des six sites, il y a un CRDE équivalent à une « école des paysans ». Placés sous la tutelle du Ministère de la Production, les CRDE visent l’amélioration des conditions de travail des producteurs et l’appui à la diversification et l’augmentation de la productivité agricole, en vue d’assurer la croissance durable dans le secteur agricole.[6]

C’est « la solution la plus importante et la plus pérenne » d’après Youssoufa Mohamed Ali. « Les agriculteurs y sont formés sur les nouvelles techniques par leurs confrères, les ‘’paysans formateurs’’, sensibilisés sur les effets du changement climatique et accompagnés dans l’aménagement et l’embocagement de leurs parcelles » nous apprend Soule Assoumani. Ils peuvent y découvrir des parcelles de démonstration, les « champs-écoles », afin d’implémenter ensuite ces pratiques considérées comme résilientes aux changements climatiques sur leurs propres terres.

#7 - Lutte antiparasitaire intégrée
« Une bonne partie des productions agricoles comoriennes sont détruites par ce qu’on appelle les insectes nuisibles […], les bactéries, les virus et les champignons. Ces nuisibles contribuent à une diminution de la production agricole d’environ 60% » estime Youssoufa Mohamed Ali.
Il préconise donc la lutte antiparasitaire intégrée et raisonnée. Elle combinerait ainsi diverses méthodes de lutte biologique et, en dernier ressort, de lutte chimique pour pouvoir maîtriser le fléau des ravageurs. À cet effet, le projet doit mettre en place des partenariats avec des institutions, tels le Cirad à La Réunion et le MSIRI à Maurice pour qui cette lutte est une priorité, afin de bénéficier de leur expertise et de leur appui technique.   

In fine les résultats attendus sont que l’ensemble de ces pratiques combinées permettent aux populations comoriennes les plus vulnérables d’améliorer leurs revenus et de résister efficacement aux aléas des changements climatiques.



[1] Ministère de la Production, de l’Environnement, de l’Energie, de l’Industrie et de l’Artisanat, Contributions prévues déterminées au niveau national de l’Union des Comores, Union des Comores, 2015, 23 p.
[2] Visionnez ici l’ allocution du Président des Comores à la COP21.
[3] Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC), Direction Générale de l’Environnement et des Forêts, Ministère de la Production, de l’Environnement, de l’Energie, de l’Industrie et de l’Artisanat, Seconde communication nationale sur les changements climatiques, Union des Comores, 2012, 198 p.
[4] Plan d’Action National d’Adaptation au changement climatique (PANA).
[5] Mmagaza, Le Ministre de la Production visite le chantier du CRDE de Hamalingo, La gazette des Comores, 2014.
[6] Les Nations-Unies en Union des Comores, Développement : pour une agriculture adaptée au changement climatique, Moroni, juin 2015.

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