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Les Tephritidae, ces mouches qui menacent l’agriculture réunionnaise

Rédigé par Alexandre Reteau Modifié le

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  • Ceratitis rosa, appel phéromonal du mâle © D. Vincenot

En raison du caractère insulaire de la Réunion, isolée au beau milieu de l’Océan Indien, une intensification des échanges commerciaux avec l’extérieur accroît d’autant le risque d’introduction d’espèces exotiques. Par conséquent, cherchant à définir, parmi les Tephritidae,  quelles espèces de mouches exotiques pourraient représenter une menace pour l’agriculture réunionnaise, l’Anses[1] a dû se pencher sur l'épineuse question des risques liés à l'importation de fruits et légumes à la Réunion.

Répondant à une demande de la DAAF Réunion et de la Direction Générale de l’Alimentation, l’Anses, épaulé par des experts du Cirad, a récemment émis un avis dans lequel est proposée une « Hiérarchisation des mouches Tephritidae les plus menaçantes pour les DOM », l’île de La Réunion faisant l'objet d'une attention toute particulière.


Les Tephritidae, mouches sous haute surveillance

Les Tephritidae constituent une famille de diptères dont le poids exercé sur l’agriculture revêt une forte importance économique. Ces mouches, dont les femelles pondent directement à l’intérieur des fruits, comprennent plus de 4 000 espèces, présentes aussi bien en zone tempérée que sous les tropiques.

Malgré l'intensification de ses échanges commerciaux avec l'extérieur, la Réunion reste relativement bien protégée par la barrière naturelle que forme l’Océan Indien. Par conséquent elle n’abrite que neuf espèces d’importance économique majeure. Précisons que parmi ces dernières seules deux d'entre elles sont indigènes, les autres ayant été introduites du fait des activités humaines. La dernière en date, Bactrocera zonata, qui fut détectée sur l'île pour la toute première fois en 1991, est désormais bel et bien implantée sur le territoire réunionnais.

Les Tephritidae étant phytophages[2], les fruits représentent le vecteur le plus probable de leur introduction. C'est pourquoi les importations fruitières réunionnaises sont étroitement surveillées par les services phytosanitaires. Point confirmé par l’Anses qui précise dans son rapport que les risques se concentrent essentiellement au niveau du marché d’importation de fruits et légumes, dont les tonnages ne cessent d’augmenter d’année en année.


Ceratitis rosa mâle © D. Vincenot
Ceratitis rosa mâle © D. Vincenot

Ainsi, et depuis l’arrêté du 30 septembre 2011, pour que des fruits puissent être  importés à la Réunion, ceux-ci doivent provenir de régions exemptes de toute espèce de Tephritidae autres que celles déjà présentes sur l’île. Lorsque ce n’est pas le cas, l’exportateur doit fournir la preuve que ses marchandises ont bel et bien été traitées de manière à éliminer tout risque d’introduction.

En pratique, ces traitements se trouvent peu appliqués en raison de la fragilité propre à quantité de fruits.[3] De plus, en vertu du grand nombre d’espèces qui composent la famille des Tephritidae, ainsi que de leur caractère ubiquitaire, il est difficile pour les services phytosanitaires de fournir de telles garanties. Il existe donc, malgré les précautions prises, un réel risque d’introduction de mouche des fruits exotiques à la Réunion. Risque réel, malheureusement illustré par la récente implantation de Drosophila suzukii sur le territoire réunionnais (D. suzukii qui ne fait pas partie des Tephritidae mais des Drosophilidae).


Les espèces à haut risque pour la Réunion et pour Mayotte

Tenant compte des cultures pratiquées et des masses de fruits quotidiennement débarqués sur le territoire réunionnais, un groupe d’experts, sous la coordination de l’Anses et issus pour certains de l'UMR PVBMT (Peuplements Végétaux et Bioagresseurs en Milieu Tropical), a pu travailler à l’élaboration d'un classement des espèces de mouches présentant le plus de risque d’être introduites à La Réunion. Parmi ces espèces il s'agissait de définir celles pourraient représenter un réel danger pour les cultures locales en cas d'introduction. Par conséquent sont désignées « espèces à haut risque » les espèces polyphages[4], à forte capacité colonisatrice dont les plantes hôtes déjà présentes à la Réunion favoriseraient leur implantation durable.

S’appuyant principalement sur ces critères, ainsi que sur l’imposante bibliographie scientifique traitant des Tephritidae, l’Anses a donc pu établir un classement des plus menaçantes pour La Réunion ainsi que pour Mayotte.


Bactrocera dorsalis mâle © Anses - LSV unité d’entomologie
Bactrocera dorsalis mâle © Anses - LSV unité d’entomologie

Concernant la Réunion, se trouvent en tête de liste les mouches des fruits suivantes : Bactrocera invadens, Ceratitis rosa, Bactrocera dorsalis, Bactrocera tryoni et Dacus vertebratus. Ces mouches sont les cinq principales espèces amenées à devenir un sujet de préoccupation majeur pour les agriculteurs de La Réunion. Il convient toutefois de rajouter quelques précisions au sujet de 3 de ces ravageurs, élevés au rang d’ennemis publics numéros 1 des cultures :

  • selon de récentes études, Bactrocera dorsalis et Bactrocera invadens ne représenteraient qu’une seule et même espèce de mouche orientale des fruits.[5]
  • la mouche des fruits Ceratitis rosa est en réalité déjà présente à la Réunion. L’avis de l’Anses fait donc référence à une sous espèce africaine dont l'île de la Réunion est encore exempte à ce jour.

Concernant Mayotte ce sont Bactrocera cucurbitae et Ceratitis rosa, qui se situent dans le peloton de tête, suivies de près par Bactrocera zonata (B. cucurbitae et B. zonata sont, elles, déjà implantées sur l’île de la Réunion).


Les filières d'importation, vecteur probable d'introduction

Pour les experts, les filières pour lesquelles le risque d’introduction est le plus important sont les filières d’importation d’agrumes, de pêches, de melons et de concombres. Par conséquent l’agence préconise une surveillance accrue des importations de ces denrées, notamment lorsque celles-ci sont en provenance de pays à risques[6] tel l’Afrique du Sud, la Zambie ou Madagascar.

Les ports et aéroports, servant au stockage et au déchargement des fruits importés, doivent alors bénéficier de dispositifs de surveillance performants afin d’enrayer tout risque d’introduction. Un tel réseau de surveillance est déjà à l’œuvre à la Réunion, renforcé à proximité des aéroports de Saint Denis et de Saint Pierre. Composé de pièges attractifs spécifiques aux mouches des fruits, ce dispositif est, à l’heure actuelle, l’une des méthodes les plus efficaces dont nous disposions, alliant à la fois simplicité et faible coût d’utilisation. Son caractère spécifique et localisé évite d’avoir recours à des épandages massifs d'insecticides dont l’impact serait néfaste pour l’environnement.


   
Quatre Bactrocera dorsalis (Diptera Tephritidae) et quelques Drosophilidae sur une mangue cv Eldon © Jean-François VAYSSIERES, CIRAD

Parmi les autres solutions prophylactiques envisagées par l’Anses, celle de substituer au transport en chambre réfrigérée un traitement par « cryothérapie ». Cette méthode consisterait à exposer brièvement les fruits et légumes concernés à de très basses températures avant de les stocker ensuite en chambre froide ; sorte de pasteurisation par le froid. Si les mouches des fruits, leurs œufs ou leurs larves, pouvaient espérer survivre à stockage à basse température, il leur serait bien plus difficile de passer au travers d’un traitement cryothérapique.

Toutefois les voies commerciales ne sont pas les uniques vecteurs d’introduction que pourrait emprunter une mouche des fruits pour atteindre la Réunion. Si dès leur arrivée sur le territoire, les marchandises importées à titre commercial  sont contrôlées par les services de la DAAF, ce n'est pas le cas des bagages des particuliers débarquant chaque jour par centaines aux aéroports de Saint Denis et de Saint Pierre.

Fréquemment pointé du doigt par les experts des agences phytosanitaires, le transport de passager par voie aérienne représente un risque loin d'être négligeable. Rappelons donc, à toute fin utile, que, à la Réunion, l’importation de matériel végétal par des particuliers reste formellement interdite.

© Bactrocera dorsalis, Antoine FRANCK, CIRAD








Pour aller plus loin :


[1] Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail.
[2] Un insecte phytophage est un insecte se nourrissant de plantes, dans le cas des mouches des fruits, celles-ci se nourrissent donc de la pulpe des fruits qu’elles parasitent.
[3]  Traitement qui peut être effectué « par la chaleur (vapeur), le froid ou la réfrigération rapide, [et] qui s'est avéré efficace contre les organismes visés sans endommager les fruits, ou, à défaut, à un traitement chimique, y compris par fumigation, accepté par la réglementation communautaire. » Arrêté préfectoral n° 2011 -  001479.
[4] Bactrocera dorsalis, Bactrocera cucurbitae, ou encore Bactrocera invadens sont des espèces connues pour être capable de piquer un grand nombre de fruits différents, ces mouches polyphages présentent donc le risque de causer des dégâts à un plus grand nombre de cultures en cas d’introduction dans un nouvel environnement.
[5] Schutze and all, (2015), Synonymization of key pest species within the Bactrocera dorsalis species complex, Systematic Entomology, 40: 456–471. Lien vers l'article
[6] Sont définis « à risque » les pays hébergeant les espèces de mouches des fruits précédemment citées ou pour lesquels il subsiste des doutes concernant les pratiques phytosanitaires et prophylactiques appliquées. 

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